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Réflexions sur le prix libre

Préparé par le collectif éphémère de l’association FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail) du Mur 20e et des membres de l'association FSGT 11C+. 

Ce texte est librement inspiré des réflexions ayant eu lieu pour la préparation des rassemblements FSGT d'été de Freissinières et, plus loin, lors d’un atelier prix libre qui s'est tenu pendant une réunion des cantines militantes de l'Île-de-France.

Pour rester généraliste et pouvoir transposer les réflexions dans bon nombre d’associations ou collectifs, ce texte parlera du Prix Libre lors de la mise en place d'activités ou d'actions limitées dans le temps : un événement, une sortie associative, un rassemblement, etc.

Paris, avril 2024

Intérêt du prix libre

Une pratique solidaire et inclusive

  • Tout le monde a le droit de participer à l’activité de l’association et ce ne doit pas être l'argent qui empêche certain·es.
  • Le Prix Libre implique une notion de responsabilisation et d’entraide dans l’échange. Ce n’est pas une quelconque organisation qui fixe le prix, mais les participant·e·s : si iel a beaucoup, iel peut compenser pour celles et ceux qui ne peuvent pas mettre beaucoup voire pas du tout. Une personne qui à des ressources variables dans l’année peut aussi contribuer de façon variable. Il s’agit de participer à la hauteur de ses moyens, de ses envies et de la notion de solidarité entre toustes les membres de l’action en cours (une sortie, un rassemblement, etc.).

Une réflexion collective sur les rapports marchands

  • Le Prix Libre n'est pas une alternative économique et tout le monde pourra lui trouver des limites.
  • Le Prix Libre c'est réfléchir à l'impact de la société marchande sur notre façon de vivre, notre façon de consommer, notre façon d'envisager la notion de juste prix, pour soi et pour l'autre. 
  • Le Prix Libre est une voie pour faire avancer la démarchandisation des activités humaines et sportives et c’est certainement un principe qui peut aider au développement des pratiques associatives et de l'éducation populaire.

Une comptabilité simplifiée

  • On évite tous les aspects complexes des outils de suivi des dépenses où tout doit être enregistré au centime près. 
  • On évite aussi les comptes rigoureux où seules les personnes ayant consommé un produit payent le produit (viande, alcool, etc). Toustes payent en conscience de ce qu'iels ont dépensé ET en fonction de leurs ressources.
  • On évite une perte de temps pour faire les comptes.

Pratique du prix libre

L’anonymat nécessaire

Beaucoup pensent que les personnes ayant des moyens financiers limités sont capables de le dire et de demander de l'aide. Mais ce n’est pas d’aide dont il s’agit ici, il s’agit plutôt de respecter les différences de ressources entre individus et de trouver un moyen de les équilibrer sans culpabiliser. 

Toute pratique du prix libre nécessite alors le principe du respect de l’anonymat des participations financières.

C’est parfois culpabilisant d’être obligé de toujours demander des financements et d’expliquer sa situation personnelle. Le respect de l’anonymat permet de créer des processus de déculpabilisation des personnes les plus précaires, qui se sentiraient sinon obligées de mettre plus que ce qu’elles peuvent ou avaient prévu. 

De même, il sera difficile sans anonymat pour des personnes de choisir de ne rien donner, même si ces dernières ne sont pas en capacité de le faire.

La culpabilité pourrait conduire les personnes à s’auto-marginaliser en ne participant plus aux activités quand elles n’en ont pas les moyens: un effet opposé à l’ambition du prix libre!

Sur le prix de revient

S'acharner à donner/calculer un prix de revient amène à valoriser le monétaire au détriment de la valeur des autres types d'engagements non financiers (par exemple nous ne sommes pas rémunéré·es pour notre participation à la vie associative).

Pour autant il ne faut pas minimiser son intérêt pédagogique et c'est souvent pour ce faire qu'il est utilisé. Il permet alors à des gens de se positionner : “donc le prix supposé réel est x et comme j’ai les moyens je donne plus”.

Cependant, et dans la pratique, on a remarqué que cela borne les montants donnés et que ceux-ci resteront toujours autour de cette valeur, réduisant les écarts de participation et donc la liberté recherchée à travers la pratique du prix libre.

Celleux qui ont plus de ressources financières ne vont pas mettre beaucoup plus que le prix de revient, celleux qui en ont moins ne se sentiront pas de participer vraiment en dessous du prix de revient.

Pourtant, dans la vie courante, on sait faire la différence entre ce que l’on dépense et ce que l’on aimerait dépenser ! Alors pourquoi ne pas juste réfléchir en se disant : mais combien je dépense habituellement pour partir un week-end ? Pour aller au resto ? On a toustes des points de repère qui peuvent être efficaces.

Il en va de même sur le fait de donner un prix minimum. Le prix minimum est une borne, et empêche les plus précaires d’accéder au service. Donc on n’a finalement rien résolu si ce n'est se donner bonne conscience.

Le liquide comme une nécessité

C’est tellement plus simple de faire un Lydia, un virement, un chèque… oui mais cela ne respecte pas l’anonymat car certain·es voient obligatoirement les sommes versées. On perd donc la notion d’anonymat qui est fondamentale.

Et puis, utiliser de l’argent liquide permet aussi d’être dans une temporalité proche de l’immédiateté et simplifie beaucoup toutes les comptabilités. Une fois une sortie, un repas, terminés les comptes sont faits et plus besoin d’attendre un virement ou un chèque hypothétiques pour clore le tout.

Faire des comptes

Faire des comptes ne remet pas en cause le prix libre. C’est dit !

Mais quand on met en place un système qui permet de réfléchir à la sortie des rapports marchands, quel est le besoin de tout compter ? 

Si c’est pour faire des statistiques et mieux prévoir le coût de revient d’autres sorties, est-ce que la connaissance des trois prix usuels (transports, logement et nourriture/frais courants) n’est pas suffisante ?

Sur le déficit

De fait le prix libre est aussi une mutualisation des risques, il est impliquant. Si à un moment, nous ne rentrons pas dans nos frais, ce n’est pas aux individus de pallier le manque, mais bien au collectif de trouver une solution. Par exemple en demandant à l’association de combler le déficit. Ou encore, en faisant appel à des contributions en expliquant notre volonté d’inclusivité (par exemple, en organisant une soirée de soutien).

Bref, ne surtout pas individualiser la question : s'il manque de l'argent dans le pot commun, c’est que les individu·es présent·es ne pouvaient pas mettre plus ; on cherchera une solution collective pour trouver cet argent, pas dans les bourses individuelles.

Oui, mais… peut-être que l’on s’est trompé·es dans le prix de revient initial. Trompé·es ? Ou alors a-t-on, par exemple, décidé de faire dans la gourmandise et d’acheter des denrées beaucoup plus chères que prévu ? Pour tous ces cas, avant la fin de l’action et avant de prononcer son déficit, il est préférable de faire un rappel aux participant·es : “Est-ce que tout le monde a bien rempli la caisse ? Est-ce que tout le monde a bien tenu compte des potentielles modifications du prix de revient annoncé liées à des achats non prévus ?” 

Limites du prix libre

Une responsabilité individuelle trop importante quand on défend la vie associative.

Le Prix Libre n'est-il pas le dernier avatar de la société libérale ? On peut compenser cette limite par l'implication des associations/clubs et de la FSGT en général.

Exemple de fonctionnement associatif pour une sortie : financement à hauteur de 20% directement versé dans la cagnotte prix libre. En cas de déficit que l'on n’arrive pas à combler pour quelque raison que ce soit, c'est l'association qui comble.

On mixe alors la responsabilité collective d’une association qui se donne les moyens de sa politique associative avec une solidarité entre les membres d’une même action (sortie, repas, etc.).

Autre exemple de fonctionnement associatif : pour un rassemblement faire appel aux associations visées par ce rassemblement pour financer les communs, voire directement verser les financements individuels des membres dans la caisse commune.

Mais ça fait beaucoup de liquide et on risque de se le faire voler.

C'est vrai, mais alors il faut penser et organiser la façon d'avoir le minimum de liquide à un moment donné. Donc comment dépenser vite ce que l'on a en espèces sur des frais que l'on paye habituellement en fin de séjour ?

Et c'est à nouveau là que l'on peut penser à une prise en charge associative : si l'argent est volé, comme c'est de façon collective et associative que la décision a été prise, c'est l'association qui peut financer les pertes.

En fait, c'est culpabiliser celleux qui ont de l'argent pour qu'iels versent plus.

C’est certainement possible pour celleux qui ont pour moteur la culpabilité ;) Mais que penser de ce problème au regard des gens qui ne peuvent pas partir car ils n'en ont pas les moyens ?

Oui, mais dans les faits, on sait bien qu’on est toustes à peu près égaux et égales dans nos ressources.

Les adhérent·es d’une association se composent de salarié·es avec des écarts de ressources plus ou moins importants, mais aussi d’étudiant·es, de jeunes ou moins jeunes, chômeur·euses et de travailleur·euses précaires. De plus, il n’est pas possible de savoir comment évolueront dans le temps les ressources des un·es et des autres. Et selon la localisation des associations (Paris ou la banlieue parisienne, et plus généralement l'Île-de-France, mais aussi les assos d’autres régions) il y aurait certainement d’autres différences de ressources à observer, que seule une étude sociologique pourrait éventuellement valider…

Et puis, même si cela était actuellement vrai, ne serait-ce pas le bon argument qui permette d’acter que chez nous, l'escalade est vraiment pour toustes, quels que soient ses moyens ? Nous sommes alors prêt·es, au moins financièrement, à accueillir des populations moins favorisées.

Quoique… dans tous les cas, la richesse des débats sur les rapports marchands et le juste prix justifierait presque à elle seule le prix libre. ;)

Ce qu'il vaut mieux ne pas faire

Mettre un intermédiaire (un·e trésorier·ère) entre la caisse Prix Libre et la personne qui paye.

Ceci implique alors, outre le fait de fonctionner en liquide, de donner un libre accès à la caisse Prix Libre sans le regard de la personne trésorière de cette même caisse.

Culpabiliser de parler d’argent.

Si le Prix Libre n’est pas dans nos habitudes, s'y habituer est complexe. Il est alors nécessaire de discuter, discuter et encore discuter. 

Si on ne discute pas que de l’activité qui nous rassemble, ce n’est pas grave. Ces échanges permettent de discuter de "mes rapports à l'argent" en relation avec et vers "la vie associative inclusive". Ces discussions peuvent avoir lieu en amont, dès l'inscription à une activité.

Considérer le concept comme un acquis.

Nos associations se renouvellent de 30% tous les ans. Les nouvelleaux ne connaissent pas forcément la notion de Prix Libre et, dans tous les cas, ne connaissent pas l’interprétation que nous en faisons.

Par ailleurs, au cours du temps, la mémoire perd souvent la justification des choix précédemment réalisés.

Pour ces deux raisons, disposer de documents sur le sujet expliquant le concept et sa mise en œuvre est un gage de pérennité. Mais discuter et encore discuter, à chaque moment où le Prix Libre est utilisé reste nécessaire pour ne pas tomber dans la routine et rester éveillé·es par rapport à notre prise de conscience.

Et puis, la mise en œuvre du concept devra certainement être remise en cause par moment. Ne pas hésiter donc à faire des bilans réguliers. Peut-être dans le but de toujours étendre plus le Prix Libre.

Gérer seulement certaines choses au Prix Libre.

On entend souvent “le repas c'est au Prix Libre, mais la bière et le vin non”. 

Le Prix Libre deviendrait alors un truc juste pour faire comme si on voulait remettre en cause les rapports marchands... mais pas trop quand même car il y a des endroits où on peut et d'autres où il ne vaut mieux pas. Ce genre de pratique dessert le Prix Libre qui devient incompréhensible, et donc gadgettique, pour qui le pratique.

Ne pas tout gérer dans une même caisse en différenciant chacune des dépenses.

On nous propose alors de démultiplier les caisses Prix Libre pour différentes dépenses (celleux qui font du ski de piste vs celleux qui font du ski de randonnée, celleux qui boivent beaucoup vs celleux qui ne boivent pas, etc.). Où est la cohérence ? Où est la simplicité du Prix Libre ?

On peut imaginer, mais ce n’est pas sûr, qu’une personne végane ou ne buvant pas d’alcool aura des habitudes financières différentes d’une personne aimant les apéros débordant de victuailles carnées par exemple. Cette personne dépenserait dans chacune des caisses en conscience. Est-ce bien sérieux de démultiplier les caisses ? Comment un individu peut-il s’y retrouver ? Simplifions !

Et finalement, rappelons que la pratique du prix libre nécessite une démarche consciente et solidaire de chacun·e : il est alors possible de penser sa participation au Prix Libre en fonction de ses besoins et habitudes. 

Penser que tous les gens sont des arnaqueurs.

Ce serait dommage qu’une inquiétude nous fasse reculer sur le Prix Libre !

Œuvrer sur une temporalité trop longue.

La mise en œuvre du Prix Libre pour une activité donnée (une sortie d’escalade par exemple) doit être circonscrite le plus possible dans le temps.

Le jour de l’activité : “je viens avec l’argent nécessaire” et “j’ai un peu de rab au cas où”. Quand l’action est finie : “tout a été payé, tout le monde s’est remboursé, les comptes sont clos”.

Pourquoi ? La mise en œuvre du Prix Libre nécessite, d’une part, une prise de conscience de sa place dans le groupe et, d’autre part, de se rappeler des coûts afférents à une sortie. 

En effet, après l'activité, les participant·es sont moins conscient·es des enjeux du Prix Libre pratiqué ; la finalisation des comptes devient longue et fastidieuse.

De la même façon, et avant de commencer une activité, verser des sommes au Prix Libre (arrhes, pré-inscription, etc.) peut être contre-productif. Voir par exemple le nombre de personnes ne se souvenant pas des sommes qu’iels ont versé ou pas, au fur et à mesure.

Dans tous les cas, que ce soit longtemps avant une activité ou après, on est souvent obligé·es de déroger au concept de l’anonymat durant le versement des avances ou des compléments… ce qui revient alors à nouveau à risquer de culpabiliser.